HerschTemps alternés
ÉPUISÉ
« Lorsque j’écrivis ce petit roman, j’avais environ trente ans. Auparavant, j’avais publié un essai, « L’Illusion philosophique ». Mon premier lecteur fut mon père. « Etrange », me dit-il, « à lire cet ouvrage, on pourrait croire qu’aucune pensée philosophique ou politique ne t’a jamais passé par la tête ». Je répondis : « C’est ce qu’il fallait ».
« Regardant en arrière, je m’étonne encore. Comment ai-je pu, alors que les victoires d’Hitler semblaient interdire tout espoir, me retirer, apparemment hors du temps, pour disposer les détails minimes de l’existence quotidienne sur le fil d’une histoire d’amour où rien ne se passe, ou presque rien ? Des raisins dans une coupe, des pommes vertes et humides, un bonnet rouge, des branches ployant sous la neige – à quoi rimait tout cela à l’époque du grand anéantissement ? Et je sais encore avec quelle concentration, quel soin, quelle patience je choississais alors ces détails, comme les fils d’un tissage. En fait, cette histoire, je l’ai tissée plutôt que racontée. Je voulais, à travers la succession et l’éphémère du vécu, tenter de saisir l’unité possible de la vie. Il y avait de la superstition dans ma tentative; si je parvenais, poétiquement, à créer avec le divers et le contradictoire quelque chose qui fût un, ce quelque chose – invisible, inconcevable, indicible – témoignerait que l’unité, malgré tout, existe. Une opération magique. Aujourd’hui, ce petit livre m’apporte une satisfaction différente. Bien plus que naguère, il va à contre-courant. Car s’il est écrit avec une grande attention, en pleine conscience vigilante, ce qu’il évoque, c’est une rêverie passionnée, un abandon de soi. L’adolescente vit son amour comme un don re,u, et l’on n’y peut rien changer. Aucun plan, chez elle. Aucun moyen qui mène au but, aucune action, à peine des mots. Pas l’ombre d’une ruse. La jeune femme – si le monde a bien changé pour elle – accueille de même en profondeur le mariage et la grossesse, elle perçoit tout, mais elle ne sait rien, n’a pas de compétence. Rien n’est plus éloigné de « l’expérience sexuelle » ou d’une « information » que ce climat d’abandon distrait, de rêverie absorbante. Vivre, se souvenir, supporter. Au reste, les choses sont devenues plus claires pour moi: le tissage attentif et la rêverie absorbante sont liés. Car si elle existe vraiment, l’unité à laquelle aspirait la tisseuse n’existe que dans la plénitude sans but du présent, quand celui-ci n’est pas vécu comme un instrument du futur. »
Date de publication : 30/04/1990
Femmes suisses : Mais son roman est d’abord œuvre de moraliste: c’est le récit d’un amour d’autrefois – amour presque enfantin, à peine sorti du rêve, mordant à peine sur la réalité – qu’une jeune femme fait à l’homme qu’elle aime, qu’elle a épousé et dont elle est enceinte. |
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Journal de Genève : L’événement (pour ses 80 ans) sera aussi marqué par la réédition, aux éditions Metropolis, de l’unique roman de la philosophe, Temps alternés, depuis longtemps épuisé. |
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Figaro Magazine : Disciple de Jaspers, professeur à l’Université de Genève, ancien directeur du département de philosophie à l’Unesco, auteur de nombreux ouvrages dont un beau roman, Temps alternés, Jeanne Hersch, par la profondeur et la clarté de sa pensée, par son exigence intellectuelle et morale, par son caractère indomptable, est une personnalité exceptionnelle. |
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Télé Loisirs : À travers l’éphémère, le livre tente de saisir l’unité possible de la vie. |